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Allocution du Secrétaire général à l'Université Jagellonne

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Retrouvez l’allocution du Secrétaire général parlementaire, Jacques Krabal, à l’Université Jagellonne lors de la restitution des travaux des messagers de la mémoire dans le cadre du Train des mémoires.

Madame la Vice-rectrice, Dorata Malec,
Monsieur le Directeur de l’institut de philologie romane, Waclaw Rapak,
Madame la Professeure des Universités, Soko Phay,
Mesdames et Messieurs les universitaires,
Mesdames et Messieurs les diplomates et les parlementaires, notamment membres de la section polonaise de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie,
Monsieur le chargé de mission de la Région Europe de l’APF, Cher Jean-Charles Luperto,
Monsieur le Secrétaire général administratif de l’APF Cher Emmanuel Maury,
Chères Messagères et Messagers de la mémoire, chers étudiants francophones,

Chers amis,
C’est avec une émotion non feinte que je suis parmi vous, à Cracovie, dans cette prestigieuse université Jagellonne, qui a une tradition séculaire d’accueil d’étudiants du monde. C’est encore le cas avec Erasmus. Votre université est l’une des plus anciennes d’Europe et qui a payé un lourd tribut en 1939 avec la déportation de nombreux professeurs dans les camps de concentration. Elle est aujourd’hui membre du réseau de l’Agence universitaire de la Francophonie avec qui nous entretenons des relations étroites.

Il est essentiel pour tous les parlementaires que j’ai l’honneur de représenter de s’entourer d’universitaires afin de mieux comprendre les problématiques auxquels le monde est confronté et sortir de nos schémas de pensées politiques ou institutionnelles, il faut bien le dire, parfois trop étroits.

Et je tiens donc en premier lieu à vous remercier Monsieur le Recteur, de nous accueillir dans ce cœur battant de la connaissance, de la recherche et de l’éducation supérieure de votre pays dont l’histoire tourmentée n’a pas réussi à entacher la nation polonaise. Voltaire écrivait déjà, dans son Histoire de Charles XII, que votre nation était « bien plus jalouse de maintenir sa liberté́ qu’empressée à attaquer ses voisins. La discipline et l’expérience lui manquent, mais l’amour de la liberté́ qui l’anime la rend toujours formidable. On peut la vaincre ou la dissiper ou la tenir même pour un temps en esclavage, mais elle secoue bientôt le joug... ».

Et c’est bien cet amour pour la liberté qui nous réunit encore aujourd’hui autour des jeunes venus des 4 régions de l’APF dans le cadre d’un projet encore inédit : le train de la mémoire. Nous représentons les 5 continents à travers ces 16 jeunes.

Mais il peut vous paraître étonnant que l’APF, assemblée consultative de la Francophonie qui regroupe 90 parlements ait eu la volonté, en cette fin d’été, de sortir de ces instances officielles ou de ses 90 parlements pour inviter les jeunes de l’espace francophone à travailler sur le devoir de mémoire et la transmission aux générations futures. Et j’ai d’ailleurs salué hier leur engagement francophone et citoyen. Ils sont maintenant des missionnaires de la lutte contre le nationalisme ; des militants en faveur de la diversité culturelle et linguistique et des Droits de l’Homme.

Si je suis venu c’est donc aussi pour exprimer la dimension politique de cette initiative et ses enjeux.

« Auschwitz, est le symbole de ce qui peut se passer quand les droits de l’Homme ne sont pas respectés » affirme avec force Annette Wieviorka, juive polonaise dont les grands parents sont morts à Auschwitz, dans sa thèse parue en 1992, Déportation et génocide entre la mémoire et l’oubli.

Finalement tout est dit. Et je n’ai pas grand-chose à ajouter tant l’affirmation concentre toutes les raisons pour lesquelles l’APF a pris cette initiative.

L’ambition de paix pour tous les peuples représente en effet notre exigence première et le cap politique à atteindre : sans paix, pas de liberté et donc pas de fraternité non plus.

Mais revenir ici c’est aussi se souvenir que « le vrai danger, c’est l’indifférence ». C’est elle qui a conduit des peuples à seconder, consentir, à ne pas empêcher l’abominable. L’indifférence par idéologie, colère ou lâcheté engendre finalement l’acceptation de l’inimaginable.

Parce que l’horreur est inqualifiable, elle a donné naissance à un terme, « génocide » inventé par un juriste polonais Raphael Lemkin, en 1944 pour définir « la pratique de l’extermination de nations et de groupes ethniques ». Et je souhaite que Madame Phay puisse intervenir au sein de l’APF pour rappeler ce qu’est un génocide, ceux intervenus dans l’espace francophone et surtout comment les éviter par une vigilance aigue.

Le terme a par la suite été employé rétrospectivement pour le massacre systématique des Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand (1904-1908), celui des Arméniens par les Turcs (1915-1916), et enfin celui des Tutsis au Rwanda (1994).

Revenir à Auschwitz c’est donc tenter, non pas de comprendre, mais de ressentir dans sa chair, l’abominable et de rendre hommage à toutes les victimes de génocides.

Mais le devoir de mémoire, ici, n’a de sens que s’il anime les vivants autour du respect de la valeur humaine, quel que soit son origine, sa religion ou son orientation sexuelle.

Le devoir de mémoire n’a de sens aussi que s’il mobilise les vivants autour du respect des droits de l’Homme et du maintien de la paix.

L’abbé Noël Carlotti, résistant gaulliste déporté à Neuengamme, l’exprimait mieux que moi en 1949 :

« Nos souffrances passées, qui nous ont donné un sens aigu de l’aide fraternelle à apporter à nos semblables, devraient donner au monde son visage de demain, le rendre plus habitable, plus humain. Ah ! Il nous reste une belle tâche à accomplir : réconcilier l’homme avec l’homme, réaliser le respect total de la personne humaine (…) ».

Voilà ce qui devrait nous animer individuellement et collectivement.
Nous en sommes pourtant encore loin !
Malgré l’horreur, le témoignage des rescapés, les commémorations et célébrations dans tous les pays, l’histoire semble balbutier :

  • Nul n’est l’abri, aucun continent n’est épargné. Et malgré Auschwitz, des tentatives d‘extermination de groupes ethniques se sont déroulées après la Seconde guerre mondiale, et bien trop souvent sous le regard impuissant de la communauté internationale. Et je pense au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, celui des Rohingyas en Birmanie ou encore celui des Ouïgours en Chine.
  • Toutes nos démocraties sont fébriles et en danger si nous n’y prenons pas garde. La montée des populismes plus prompts à monter des murs plutôt que d’ériger des ponts entre les pays gagne du terrain.
  • Sur internet les fausses nouvelles pullulent pour manipuler l’opinion publique et fragiliser l’état de droit et nos libertés individuelles et collectives.

Ainsi, chaque génération a son combat à mener. Le vôtre, chers messagers de la paix, est complexe parce que multiforme : terrorisme, réchauffement climatique, pandémie, infox…Face à tous ces défis, seule la solidarité et la fraternité seront vos armes et vos boucliers.

Vous devez devenir cette voix singulière et à la fois plurielle pour faire résonner partout que « la paix est le seul combat qui vaille d’être mené ». Parce que sans la paix, pas de souveraineté des Etats, pas de démocratie et pas de liberté individuelle et collective.

Pour que vive la liberté, il vous faudra combattre toute idéologie qui se fonde sur l’obscurantisme. C’est votre détermination à refuser la fatalité, votre engagement total à défendre les droits humains et ceux de la planète face à l’oppression qui donnera du sens à vos vies individuelles.

Il nous appartient aussi collectivement, de montrer que les institutions multilatérales sont plus fortes que les individus et que les droits humains universels sont au-dessus de toute architecture institutionnelle.

C’est à quoi les parlementaires s’attachent.
Pour toutes ces raisons, le devoir de mémoire dans notre espace francophone et sa transmission aux générations futures – thème de la conférence d’aujourd’hui - est un sujet fondamental pour l’APF.
Mais, si je suis venu vous parler et vous saluer, partager avec vous le sens politique de notre initiative, il est également important pour moi de vous écouter.

Le devoir de mémoire passe aussi par l’émotion et vous allez démontrer que l’art et les objets culturels sont transmetteurs de mémoire et de sens, mais aussi de valeurs comme la tolérance, le dialogue inter-religieux, la fraternité…

Avec le soutien indéfectible de Fatmir, l’appui des experts, vous avez travaillé entre vous, vous vous êtes concerté, et je suis certain que le fruit de vos échanges sera passionnant et précieux.

Mais vous l’avez compris, la Francophonie, avec ses fondements culturels de respect et de diversité, par ses valeurs de fraternité et son rayonnement international porte cette ambition essentielle pour les générations actuelles et à venir au service de la fraternité, de la coopération et de la solidarité.

La Francophonie est un tremplin vers une humanité solidaire, fraternelle et LIBRE. C’est vers quoi nous devons tendre et nous comptons sur vous.
Que les mots de Jean de la Fontaine, dont nous célébrons le 400e anniversaire deviennent votre crédo : « Ô Paix ! Source de tout bien, viens enrichir cette terre. Et fais qu’il n’y reste rien des images de la guerre ».

Et comme le soulignait si justement Paul Eluard, « Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons », n’oublions jamais les mots inscrits sur la plaque du mémorial de Birkenau : « Que ce lieu où les Nazis ont assassiné 1 500 000 hommes, femmes, jeunes, enfants en majorité des juifs soient à jamais pour l’humanité un cri de désespoir et un avertissement ». Sachons enfin entendre l’écho de ce cri.

Alors ensemble, avec le soutien des universitaires, mobilisons-nous avec force pour retrouver l’espoir en un monde de paix et de fraternité.

Vive la jeunesse !

Vive l’université Jagellone !

Vive la Francophonie !

Je vous remercie.