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Une parole francophone : Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO

A l’occasion de l’organisation de la Conférence interparlementaire sur la diversité des expressions culturelles
(CIDEC) à Québec les 2 et 3 février 2011 organisée par l’APF et l’Assemblée nationale du Québec en coopération
avec l’OIF et l’UNESCO, Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO, a répondu à nos questions concernant la
Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (ci après nommée la
Convention) et les défis qui attendent les parties prenantes pour sa mise en oeuvre.

Cinq ans après l’adoption
de la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des
expressions culturelles, pouvez-vous
dresser le bilan quant à sa ratification et
nous indiquer pourquoi certains États ne
l’ont toujours pas ratifiée ? Qu’en est-il
plus particulièrement de la ratification
de cette convention par les pays de la
Francophonie ?

Irina Bokova  : La Convention adoptée
le 20 octobre 2005 est entrée en vigueur en
mars 2007. A ce jour, 116 Parties (115 Etats et
l’Union européenne), l’ont ratifiée, couvrant
l’ensemble des régions géographiques, même
si la région Asie-Pacifique et les Etats arabes
restent insuffisamment représentés.

En tant que directrice générale de l’UNESCO,
j’insiste sur l’importance de ratifier cet
instrument normatif. La question est de savoir
comment sensibiliser et persuader les Etats
qui manquent encore à l’appel. Le Comité
intergouvernemental pour la protection et
la promotion de la diversité des expressions
culturelles a adopté en 2009 un plan d’action
pour encourager les ratifications et parvenir
à un meilleur équilibre géographique.

D’ici à 2013, le Plan d’action prévoit 35 à
40 ratifications supplémentaires.
Environ les deux tiers des 75 membres ou
observateurs de l’Organisation internationale
de la Francophonie (OIF) ont déjà ratifié la
Convention. Ces pays représentent 46%
des Parties à la Convention, ce qui montre
bien l’engagement très fort de l’OIF sur ce
dossier. La Déclaration du XIIIe Sommet de
la Francophonie de Montreux, qui invite les
Etats à rejoindre la Convention, en est une
nouvelle illustration.

Quel bilan établissez-vous des
actions qui ont suivi l’adoption de la
Convention ? Quelles sont celles qui vous
ont semblé les plus cruciales ?

I.B. : L’adhésion à un instrument
juridique international a toujours des
répercussions au niveau national sur
le plan législatif. A ce jour le bilan est
positif. Le Fonds international pour la
diversité culturelle, pilier du volet de la
coopération internationale, permettra
de financer les premiers projets dès
2011. Les directives opérationnelles, qui
sont en quelque sorte le plan de mise en
application concrète de la Convention,
vont être complétées en juin 2011.
Quant au partage des informations
et des bonnes pratiques, les Parties
devront faire état des mesures prises en
faveur de la protection de la diversité
des expressions culturelles et soumettre
à l’UNESCO leurs rapports en ce sens
tous les quatre ans.

Il existe un écart
important entre les préoccupations
du Nord et du Sud quant à la
Convention. Pouvez-vous nous
préciser comment cette Convention
est perçue par les uns et par les
autres ?

I.B.  : Il est normal que les Parties à
la Convention aient des préoccupations
différentes, à raison du degré de
développement de leurs industries
culturelles et de leurs politiques dans
ce domaine.
Le volet de la coopération
internationale attaché à cet instrument
vise notamment à ce que les Parties
dont les expressions culturelles sont en danger et/ou qui manquent de
moyens, puissent compter sur une
solidarité internationale pour soutenir
la création, la production, la diffusion
et la distribution de leurs expressions
culturelles.

Cette Convention est une réponse aux
inégalités entre les Etats quant à leurs
moyens de protéger et de promouvoir
la diversité des expressions culturelles :
les artistes et autres professionnels de
la culture, ainsi que les biens et services
culturels des pays en développement
peuvent par exemple bénéficier d’un
traitement préférentiel (article 16).
Ce traitement suppose que les pays
développés s’emploient notamment
à ce que des artistes des pays en
développement trouvent réellement
des opportunités sur leurs territoires.
A cela s’ajoute la faculté pour les pays
en développement, qui en sont les
principaux bénéficiaires, de présenter
des demandes de financement au Fonds
international pour la diversité culturelle
(article 18).


L’APF a appelé les États qui
ne l’ont pas encore fait à ratifier la
Convention. Elle a également fait
sienne votre recommandation à
l’effet de demander aux États qu’ils
financent le Fonds sur la diversité
culturelle, à la hauteur de 1% de
leur contribution à l’UNESCO. Quel
est l’enjeu de ce Fonds et pourquoi
est-il important de le pourvoir ?


I.B.
 : L’objectif principal du Fonds
est de favoriser l’émergence d’un
secteur culturel dynamique comme
facteur de développement durable et de
réduction de la pauvreté. Cet objectif
nécessite des moyens importants et
participent, car leur contribution est
volontaire.
Le Fonds est actuellement largement
sous alimenté, et la situation est
préoccupante. 254 demandes de
financement ont été reçues cette
année pour un montant de 44 millions
de dollars alors que les
ressources du Fonds
atteignent tout juste 3
millions. Je lance donc
un appel aux Parties pour
les inviter à alimenter ce
Fonds et je le ferai autant
que nécessaire.

Lors de la
table ronde organisée
par le festival Les
Francophonies du
Limousin, qui s’est
tenue en octobre, des
artistes africains ont
témoigné du peu qui
avait été réalisé depuis
la Conférence d’Accra (1975) qui
reconnaissait la culture comme un
outil essentiel de développement.


Sous votre direction, l’UNESCO
semble plus que jamais engagée
à déployer des efforts pour que
cette idée qui lie la culture au
développement soit mise en
œuvre. Quel message pouvez-vous
livrer aux États et aux organismes
de financement, pour qu’ils
reconnaissent les investissements
culturels comme des vecteurs
essentiels de développement
durable ?

I.B.  : La culture est un
puissant levier du développement et
joue un rôle clé pour atteindre les
Objectifs du Millénaire. Le dernier
Sommet sur les Objectifs du Millénaire,
réuni à New York en septembre dernier,
a marqué une étape importante en
reconnaissant pour la première fois
explicitement au plus haut niveau
mondial le rôle de la culture comme
facteur de développement.

La Convention est le premier
instrument normatif dans lequel le
lien entre culture et développement
occupe une place centrale (article 13), à la fois comme relais de croissance
économique et levier de développement
durable. Ces principes soulignent
également que les aspects culturels du
développement sont aussi importants
que les aspects économiques, sociaux
et environnementaux.

Mis à part le soutien
financier, quelles sont les
mesures que les États du Nord
peuvent adopter afin de faciliter
le développement des secteurs
culturels du Sud ?


I.B.
 : Des articles spécifiques
traitent de coopération pour le
développement. Par exemple, les
Parties peuvent adopter des mesures
pour faciliter la mobilité de leurs
artistes et autres professionnels /
praticiens de la culture, en particulier
par un régime souple de visas de court
séjour ; elles peuvent aussi renforcer
les capacités des pays par le biais de
réseaux et d’échanges culturels entre
artistes et professionnels d’un secteur
culturel, ou faciliter le transfert de
technologies et de savoir-faire. Les
partenariats entre les secteurs public
et privé et les organisations à but non par la Convention.

Comment les parlementaires, et
les parlementaires de la Francophonie
en particulier, peuvent-ils venir en
appui et être associés à l’UNESCO dans
sa mission liée à la diversité culturelle ?

I.B.  : La Francophonie s’est
fortement mobilisée pour
l’élaboration et l’adoption de la
Convention. Les parlementaires de
la Francophonie ont maintenant
un rôle important à jouer pour la
mise en oeuvre et le suivi de la
Convention, et pour impliquer la
société civile dans ce processus.

Les parlementaires pourraient
contribuer au volet de la
coopération internationale par
le Fonds international pour la
diversité culturelle dans les
parlements ; développer des
partenariats Nord-Nord ou Nord-
Sud valorisant le développement
des industries culturelles ou
favoriser les conditions d’une vie
culturelle plus riche qui donne accès à ses
propres expressions culturelles et à celles
des autres nations.

Alors que la place du
français recule dans les organisations
internationales, vous aviez annoncé,
lors de votre élection, votre ferme
intention de faire valoir les droits du
français à l’UNESCO, dans ses différentes
instances. Pouvez-vous partager avec
nous vos réflexions sur le sujet ? Avezvous
été en mesure d’améliorer, voire
faire respecter, les droits du français tels
qu’ils sont reconnus dans les règlements
de l’UNESCO ?

I.B.  : L’UNESCO promeut la diversité
linguistique et le multilinguisme.
Elle consacre d’ailleurs une Journée
internationale de la langue maternelle, le
21 février, afin de promouvoir la diversité
linguistique et culturelle, ainsi que le
multilinguisme.

Comme directrice générale de l’UNESCO
et francophone, je tiens à ce que notre
Organisation respecte les droits du français,
qui est une langue de travail de « plein
exercice » si j’ose dire, à la fois au sein du
secrétariat, au sein du Conseil exécutif et de
la Conférence générale.

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