Instances

Les impacts de la crise financière internationale sur les pays africains francophones

Excellence, Monsieur le Président de l’Assemblée
Parlementaire de la Francophonie,
Excellences, Messieurs les Présidents d’Assemblées
et Chefs de Délégations ;
Monsieur le Secrétaire général parlementaire de l’APF,
Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs les
Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

J’ai le privilège, aujourd’hui, de pouvoir m’adresser à cette illustre
Assemblée, pour échanger avec elle sur les impacts de la crise
financière internationale dans les pays africains francophones.
Dans cet exercice, j’ai pu bénéficier de l’apport fécond des différentes
Assemblées présentes à Dakar, au Sénégal, lors de la XVIIème
Assemblée Régionale Afrique de l’Assemblée Parlementaire de la
francophonie.

Je voudrais ici leur renouveler l’expression de ma totale et profonde
gratitude. Au premier rang, je voudrais remercier particulièrement le
Président Guy Nzouma NDAMA, Président de l’APF et Président de
l’Assemblée Nationale du Gabon qui a pris l’initiative de cette
heureuse rencontre.

Dans un premier temps, mon propos sera brièvement centré sur les
origines de la crise financière internationale et ses canaux de
propagation, notamment sur le secteur réel.

Dans un deuxième temps, j’évoquerai les impacts réels ou potentiels
de la crise sur les pays africains francophones, avant de passer en
revue en troisième lieu, les leçons à tirer de cette crise, en insistant sur
les réponses que pourraient apporter les parlementaires.
Mais parlons d’abord des rigines de la crise financière et de sa
propagation à travers le monde.

La crise financière internationale actuelle est liée à un ensemble de
facteurs, dont les plus déterminants peuvent être regroupés en deux
séries.

En premier lieu, le dérèglement des marchés financiers qui s’est
traduit par la réduction substantielle des garanties conventionnelles et
autres sûretés, pour permettre, par exemple, aux ménages peu
solvables d’acquérir une maison, créant ainsi le marché des
« subprimes ».

Il s’est créé une bulle immobilière qui a fait suite à l’éclatement de la
bulle des nouvelles technologies et au financement des déficits
budgétaire et extérieur américains par l’épargne internationale.

Cette situation a progressivement permis l’essor de produits financiers
dérivés et de la titrisation.

La titrisation a ainsi nourri la spéculation sur les marchés financiers,
avec des produits opaques et très peu liquides, permis par une
réglementation élastique et par la faiblesse des agences de notation.
En second lieu, la crise est consécutive à l’avènement d’un
capitalisme financier international qui a conduit a la globalisation
financière, illustrée par la désintermédiation, la déréglementation et le
décloisonnement des marchés financiers.

La crise a ainsi brusquement mis fin a une longue période de
croissance économique mondiale. Elle vient s’ajouter à des crises déjà présentes, notamment dans les
domaines alimentaire et énergétique.
Elle pourrait s’aggraver du fait des changements climatiques qui
n’épargneront pas le continent africain où se trouve la majorité des
pays francophones en développement.

Au total, les difficultés actuelles de l’économie mondiale relèvent
d’une césure entre la sphère de production de richesse et la sphère
financière. Ainsi, donc uniquement financière, la crise devient ainsi,
une crise économique.

Les turbulences nées en 2008 de l’effondrement du secteur immobilier
et du crédit hypothécaire aux Etats-Unis d’Amérique semblaient
circonscrites aux pays développés.

L’illusion a toutefois été de courte durée.

En effet, en quelques mois, la crise financière s’est d’abord propagée
au sein des pays développés, pour ensuite gagner les pays en
développement, se transformant en crise économique et sociale
mondiale.

les effets de la crise sont transmis aux pays en développement par
deux principaux canaux.
- Le canal financier, à travers les bourses des valeurs mobilières, le
secteur bancaire et les Investissements Directs Etrangers- IDE.
- le canal économique, en relation avec lévolution des transferts de
fonds des migrants, les importations, les exportations, le tourisme et
l’Aide Publique au Développement - APD.

En dépit des efforts d’adaptation dont ils ont fait preuve jusqu’ici, les
pays africains sont préoccupés par les conséquences de la crise
financière.

Cette situation est d’autant plus sensible, qu’elle fait suite à un
renchérissement des prix internationaux des produits énergétiques et
alimentaires qui affectent gravement les conditions de vie des
populations.

En effet, la persistance de ce niveau des prix risque de remettre en
question les avancées enregistrées dans la lutte contre la pauvreté
durant les cinq dernières années, ainsi que dans la réalisation des
objectifs du Millénaire pour le développement- OMD.

Parmi les pays les plus vulnérables, figure la majorité des pays
africains francophones, qui accusent des déficits courants élevés ou
qui ont financé leur développement par les capitaux étrangers et les
lignes de crédits des banques étrangères.

En ce qui concerne la transmission vers l’économie réelle, le pire des
scénarii serait qu’une crise prolongée des institutions financières
engendre un resserrement du crédit.

Mais insistons sur le cas des pays africains francophones

A priori, l’Afrique serait le continent le moins touché par les effets
directs de la crise financière, compte tenu de sa faible intégration dans
la mondialisation.

Toutefois, de manière générale, en raison notamment de la baisse des
exportations des matières premières, la crise économique et financière
mondiale aura un impact négatif sur la croissance et sur les équilibres
internes et externes de nombreux pays africains.

En revanche, le secteur financier est moins vulnérable car la plupart
des banques sont sur liquide et prêtent peu aux entreprises.
En effet, la réglementation rigide (trop rigide, diront certains) des
Banques centrales, telles la BCEAO et la BEAC permet d’éviter des
dérapages dans la zone monétaire CFA. Cependant, il convient de
surveiller le comportement des filiales des banques étrangères.
Par contre, l’impact de la crise se fera davantage ressentir sur l’Aide
Publique au Développement- APD- dont le volume risque de baisser,
compte tenu des restrictions budgétaires dans les principaux pays
développés.

Au regard de la contraction du crédit et du ralentissement de
l’économie mondiale, les flux d’investissement des multinationales et
transferts de la diaspora vers le continent, pourraient également
diminuer considérablement, au moment où l’accès aux marchés
internationaux de capitaux deviendra plus difficile.

En ce qui concerne les pays du groupe Afrique francophone au sein
des institutions de Brettons Woods, deux catégories d’effets réels ou
potentiels ont été identifiés lors d’une conférence sur l’impact de la
crise financière internationale, tenue à Abidjan, en Côte·d’ivoire
en 2008.

D’abord, la crise financière internationale n’a pas eu d’impact
significatif sur les secteurs bancaires et financiers des 24 pays
d’Afrique francophone, membres du FMI et de la Banque Mondiale. Toutefois, l’exécution des Budgets pourrait être affectée

Un autre risque est afférent à la baisse de la compétitivité pour les
pays de la zone franc, à cause de la parité fixe avec l’Euro, qui s’est
déprécié de 20 à 30 pour cent. Il pourrait s’y ajouter un éventuel
impact négatif sur les prix des produits primaires comme le cacao, le
textile, le pétrole.

Les contre-performances du marché financier ne sont pas à négliger. A
titre d’exemple, la Bourse Régionale des Valeurs mobilières BRVM-
d’Abidjan, depuis mars 2009, en dehors du marché obligataire dont la
capitalisation a enregistré une hausse de 12,83% à 549 milliards de
FCFA, tous les indicateurs affichent du recul.

Par ailleurs, la crise financière a amplifié les effets de la crise
alimentaire.
L’impact sera particulièrement marqué sur les économies affichant
d’importants déficits dans le commerce des produits alimentaires.
Les populations urbaines seraient particulièrement touchées au fur et à
mesure que s’effritent les possibilités d’emploi.

Les tentatives visant à subventionner les prix des produits alimentaires
ne seraient guère soutenables à long terme, compte tenu du faible
niveau des recettes publiques et de la diminution des réserves en
devises.

Dans le même temps les difficultés de mobilisation de ressources en
faveur du Programme Alimentaire mondial- PAM,· soutien
traditionnel - aura des effets dramatiques sur les populations pauvres
et surtout sur celles des pays en conflits et des Etats fragiles en
général. Par ailleurs, le déficit prévu des recettes d’exportation des
pays africains sera de l’ordre de 251 milliards de Dollar. EU en 2009
et atteindra 277 Milliards de dollars EU en 2010, pour l’ensemble du
Continent.

Déjà que le taux de croissance économique en Afrique est tombé sous
la barre de 3% en 2009, — s’établissant à 2,8% pour la première fois
depuis 2002.

Au niveau macroéconomique, le continent risque d’afficher un déficit
global du compte courant de 4,3% du PIB en 2009, après avoir
enregistré un excédent de l’ordre de 2,7% du PIB aussi bien en 2008
qu’en 2007.

Les Gouvernements des pays en développement, notamment
d’Afrique francophone, continuent à mettre en œuvre diverses
mesures visant à atténuer l’impact des chocs financiers et
commerciaux.

Bon nombre de gouvernements ont créé des structures spéciales,
chargées de suivre l’évolution de la crise et d’élaborer des réponses
ciblées.

Ils ont mis en place tout un éventail de mesures de stabilisation
économique se traduisant par :
- une consolidation des équilibres macro—économiques ;
- La mise en place d’un environnement des affaires de classe
internationale ;
- La poursuite des réformes pour une bonne gouvernance publique et
privée ;
- l’identification de créneaux porteurs pour attirer les investisseurs ;

Par ailleurs, il s’est agi :
- de la consolidation du cadre financier en vue de sauver les
établissements de crédits qui pourraient être en difficulté ;
- renforcer les fonds propres des banques
- assurer le financement du secteur privé, notamment les PME/ PMI.

Le dernier axe d’intervention passe par le renforcement du capital
humain.

En effet, l’investissement dans le capital humain doit êt1·e au cœur des
stratégies visant à promouvoir l’économie du savoir.
Les mesures porteraient sur l’éducation, la santé et la nutrition.
En dépit de ces initiatives louables, il est clair que les pays
francophones d’Afrique n’ont pas de capacités de financement
suffisantes pour protéger leur population contre les impacts de la crise.
Les Etats africains enregistraient certes une croissance plus rapide
avant la crise ; mais les taux de croissance étaient toujours en dessous
du niveau nécessaire pour la réalisation des Objectifs du Millénaire
pour le développement OMD.

A cet effet les pays développés doivent respecter les engagements
issus de la Conférence de Monterrey et de Gleaneagles sur l’Aide
Publique au Développement mais aussi assurer une matérialisation
plus efficace, conformément à la Déclaration de Paris.

Selon des estimations de la Banque Africaine de Développement, pour
maintenir le niveau de croissance d’avant, la crise, l’Afrique aurait
besoin d’un financement de 50 Milliards de Dollars en 2009 et 56
milliards de dollars US en 2010.

Pour porter les taux de croissance au niveau minimum de 7%, jugé
nécessaire pour atteindre les OMD, le continent avait besoin d’une
injection d’environ 117 milliards de dollar EU en 2009 et de 130
milliards de dollar EU en 2010, pour combler le déficit entre
l’investissement et l’épargne.

D’autre part, selon les estimations de l’étude diagnostic par pays de
l’infrastructure en Afrique, les besoins des financements du continent
sont de l’ordre de 75,5 milliards de dollar EU par an au cours des dix
prochaines années.

Pour terminer sur ce point, il convient de signaler l’importance des
éventuelles conséquences politiques et leurs répercussions en matière
de stabilité sociale et politique.

En effet, les avancées démocratiques et les préoccupations d’ordre
sécuritaire à l’intérieur des pays connue à Péchelon sous régionale
sont à surveiller de très prés, avec un dispositif d’observation, de
prévention et de gestion.

Quelles leçons tirer de la crise et quelles réponses parlementaires apporter ?

Il faut se convaincre que ni les critiques ni les incantations ne peuvent
dévier le cours de la mondialisation.

Au niveau international, il est donc indispensable de repenser le rôle,
l’architecture et la gouvernance de la globalisation économique et
financière, de privilégier une approche coopérative et de renforcer la
réglementation et la supervision du système financier, au regard des
récentes innovations financières.

Il est en effet, absolument indispensable de garantir une
représentation équitable pour l’Afrique, pour faire entendre sa voix et
s’assurer qu’elle dispose de droits de vote adéquats au sein des
Institutions Financières Internationales et des principales instances de
prise de décision.

La principale leçon à tirer de cette Crise et que le système de
régulation des marchés doit être redéfini dans le sens d’une
meilleure gouvernance et, notamment, d’une plus grande
transparence. D’où l’importance de revisiter le consensus de Washington. Cependant, la crise financière peut constituer une source
d ’opportunités commerciales et d ’investissements.

Le plan d’urgence pour la réalisation de la sécurité alimentaire au
Burkina Faso et la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et
l’Abondance (GOANA) au Sénégal constituent entres autres, des
exemples éloquents de réponse à une crise à savoir la crise
alimentaire.

La crise ne devrait donc pas consumer un prétexte pour remettre à
plus tard le traitement des questions liées au développement des pays
francophones comme l’atteinte des OMD, l’intégration économique
régionale, la mise en œuvre des programmes économiques régionaux
et l’ouverture à des méthodes et mécanismes innovants de
financement du développement.

Une telle perspective en appelle à la responsabilité des institutions de
représentations et de leurs acteurs que nous sommes.

Car, si la voix des pays est avant tout celle des gouvernements qui la
portent, il est clair que nos Assemblées parlementaires ont un
important rôle à jouer dans ce sens !

Les institutions comme les nôtres esquiveraient leur responsabilité si
elles désertaient le terrain de l’analyse et de proposition ou
renonçaient à une présence plus marquée dans les enceintes où les
décisions de portée mondiale se prennent.

Par conséquent, dans ces espaces et institutions les orientations
défendues par nos Etats doivent de plus en plus refléter une bonne
coloration parlementaire, synthèse de notre participation active aux
débats qui interpellent nos sociétés.

Il faut dès lors saluer à travers I’Union Interparlementaire,
l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, le rôle en première ligne des
élus, dans cette recherche d’une synergie d’actions
La 120eme Assemblée de notre organisation mondiale tenue en Avril
2009 à Addis·Abeba et la conférence parlementaire sur la crise
économique mondiale qui a eu lieu récemment à Genève fournissent
de légitimes motifs d’espérance et de fierté.

Mais ces efforts doivent être poursuivis à tous les niveaux et
notamment au plan national, où l’Etat doit renforcer son efficacité
dans la gestion de ses fonctions régaliennes et régulatrices pour mieux
suivre la gestion des activités concédées au secteur privé dans le
domaine de l’eau, de l’électricité, des télécommunications, des
transports et des infrastructures.

Aussi, les pays francophones doivent assumer leurs responsabilités et
réaffirmer leurs détermination, à mener des politiques pertinentes qui
passent par d’importantes réformes structurelles.

Entre autres, ces politiques pourraient avoir comme objectifs :
- le redressement du marché du travail par des emplois décents,
respectueux de la dignité humaine.
- le développement du capital humain à travers la promotion d’un
système d’éducation et de formation, le renforcement du système et
des services de santé mais aussi l’amélioration de la situation
nutritionnelle des populations en général et des enfants en particulier.
- la forte réduction des inégalités dont sont victimes des groupes
sociaux vulnérables comme les femmes, les enfants et les handicapés ;
- la réduction des déséquilibres régionaux, à travers des stratégies
cohérentes et concertées d’aménagement du territoire, notamment
dans l’espace rural et périurbain, de renforcement de la gouvernance
locale et de développement à la base.

De cette façon, on pourrait réduire la vulnérabilité socioéconomique,
optimiser la perspective de croissance économique et réduire la
pauvreté.
A cet égard, chaque Assemblée nationale est invitée à rester
davantage vigilante dans l’exercice de sa mission traditionnelle de
contrôle de la mise en œuvre des politiques publiques ; en particulier
dans les domaines budgétaire, économique et social.

En vérité, ce sont nos institutions qui accordent la caution légale et
légitime à l’action des pouvoirs publics.
Au cœur de nos engagements politiques respectifs, se trouve,
confinant au sacerdoce ascétique, notre obligation permanente d’être
attentifs aux préoccupations quotidiennes de nos compatriotes.

Une telle mission requiert :
- une réactivité plus vive en gardant la profondeur de l’analyse et de la
proposition ;
- une ouverture à la société, un dialogue avec la Société civile,
notamment le mouvement associatif, les ONG, sans pour autant
banaliser la Parole parlementaire, ni, prendre en charge tous les
concepts en vogue et cela par simple effet du temps présent ;
- la négociation d’un consensus fort sur des règles de gouvernance
garantissant des élections fiables, ainsi que l’intégrité institutionnelle
au sein des Etats ;
- le renforcement de la tendance à l’émergence d’opinions publiques
fortes constituant des plateformes crédibles d’appréciation et de
sanction des politiques publiques.

Mais au-delà de ces actions comment asseoir une plus grande
solidarité au plan internationale et notamment au sein
De l’espace francophone ?

Mesdames et Messieurs,
Chers Collègues,
- La Francophonie riche doit aider la Francophonie pauvre ;
Nos parlements ont un rôle capital à jouer pour amener les
gouvernements à respecter leurs engagements, notamment ceux pris à
Monterrey, à Greeneagles et ceux contenus dans la Déclaration de
Paris.
- Les inégalités, les exclusions et les discriminations ne doivent plus
avoir de place dans nos relations,
- Les Etats, les peuples et les organisations populaires doivent
désormais jouer pleinement leur rôle dans la lutte contre la Crise
économique et financière.

Je vous remercie de votre aimable attention !

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