Entretien conduit par Mme Céline Argy, chargée de communication de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie
Tout d’abord, je tenais à vous exprimer les félicitations de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie pour votre Prix des cinq continents de la Francophonie. Avez-vous été surprise d’obtenir cette distinction ?
Jocelyne Saucier : On écrit un roman uniquement parce qu’il s’est imposé, sans penser à l’accueil qui lui sera fait. Je dois avouer cependant que j’étais plutôt inquiète après avoir terminé celui-ci. Une fiction qui met en scène des vieillards en forêt profonde, ce n’est vraiment pas dans l’air du temps. À ma grande surprise, le roman a été très bien reçu au Québec. Et maintenant, grâce à ce prix, voilà qu’il a trouvé son chemin dans la francophonie internationale. J’en suis ravie. J’aime à penser que ce roman éminemment nordique sera lu sous les palmiers d’une petite cour ensoleillée quelque part en Tunisie ou en Guadeloupe.
Avez-vous lu d’autres ouvrages de la sélection du Prix des cinq continents cette année ? Certains ont-ils particulièrement retenu votre attention ?
Jocelyne Saucier : J’ai été plusieurs fois finaliste, jamais lauréate, c’est mon premier prix littéraire. Je me suis toujours fait violence pour ne pas lire les autres romans finalistes de crainte de gâcher ma lecture. Un roman doit être lu en toute liberté d’esprit, c’est un univers qui s’ouvre à nous, et on doit entrer dans cet univers sans arrière-pensée. Maintenant que je suis libérée de ma crainte de gâcher mon plaisir de lecture, bien sûr que je vais me lancer à la découverte de ces auteurs qui m’étaient pour la plupart inconnus.
Est-ce que le concept de littérature francophone, que s’efforce de promouvoir le Prix des cinq continents, a une réalité pour vous ?
Jocelyne Saucier : La littérature francophone est une nourriture essentielle pour nous qui luttons pour le fait français en Amérique depuis que nous y sommes installés et surtout depuis les cinq dernières décennies où le combat pour la survivance et l’épanouissement de notre langue s’est fait sur tous les fronts. Nous avons besoin de lire notre langue à travers le prisme d’autres cultures, de la voir traverser différents imaginaires sur différents continents, nous avons besoin des altérités multiples de la littérature francophone pour mieux vivre la nôtre.
Quelle est selon vous la place de la littérature québécoise au sein de la littérature francophone ?
Jocelyne Saucier : La littérature francophone loge principalement en Europe et sous le soleil des pays du Sud.
La littérature québécoise est porteuse de nordicité et d’une certaine américanité.
Votre ouvrage, Il pleuvait des oiseaux, lie inextricablement liberté et marginalité. Bien que reliés à la réalité par des personnages oscillant entre le monde de la forêt et celui de la vie urbaine (la photographe, Bruno, Steve…), vos protagonistes vivent de manière quasi-autarcique dans les bois. Pensez-vous que la liberté réelle ne s’acquiert qu’en dehors du monde ?
Jocelyne Saucier : Évidemment pas, mais je crois que nous avons tous éprouvé, à un moment donné de notre vie, le désir de nous retirer du monde, d’échapper à notre vie. L’idée de départ de ce roman était en fait la disparition, un thème récurrent dans mon oeuvre. Au centre de l’action dramatique de chacun de mes romans précédents, il y a en effet une disparition. Un personnage disparaît ou a disparu, laissant derrière lui un monde brisé. Chacun de mes romans s’est bâti sur cette cassure. Cette fois-ci, j’ai voulu voir le monde du côté des disparus. Il s’agit donc d’une histoire de disparition, de gens qui ont tourné le dos au monde, se sont enfoncés dans la forêt et y sont devenus des vieillards.
En s’attachant à peindre des individualités, votre ouvrage évoque une mémoire oubliée, celle des Grands Feux du début du siècle. Pensez-vous que la littérature se doit de faire œuvre de mémoire ?
Jocelyne Saucier : La littérature n’est tenue à rien, elle est libre d’explorer toutes les voies qui s’offrent à elle. Je n’ai pas voulu faire un ouvrage historique. Je n’ai pas voulu faire revivre une page oubliée de l’histoire. Les Grands Feux se sont imposés d’eux-mêmes quand il a fallu expliquer pourquoi Ted Boychuk s’est retiré au fond des bois. Ce personnage hante tout le roman et de ce fait, les Grands Feux sont devenus la toile de fond du roman.
Les protagonistes d’Il pleuvait des oiseaux sont majoritairement des personnes âgées. Pourquoi ce choix ?
Jocelyne Saucier : J’ai une tendresse particulière pour les personnes âgées, très âgées, les vieillards. J’aime le monde de lenteur dans lequel ils évoluent, j’aime leur regard, leurs mains et bien sûr, leur conversation. La vie leur est précieuse, ils ont conscience qu’elle peut leur être enlevée à tout moment, alors ils sont disponibles à ce qu’elle peut encore leur donner. Le moindre petit plaisir devient un grand plaisir. La vieillesse est un privilège qui n’est pas donné à tous, on l’oublie trop souvent. Et quand elle n’est pas trop hypothéquée par la maladie, elle peut être une période où on fait tranquillement, jouissivement, ses adieux à la vie. J’aimerais avoir moi aussi le temps d’apprivoiser la mort.
Votre ouvrage établit un lien extrêmement fort entre l’homme et la nature. Comment qualifieriez-vous ce lien ?
Jocelyne Saucier : Il s’agit d’un lien intime. Il y a des hommes, peu de femmes, mais il y en a tout de même, des humains dont le véritable espace de vie est la forêt. Ils n’y vivent pas nécessairement mais la fréquentent assidument, amoureusement, discrètement et développent un lien intime avec elle. C’est là qu’est leur appartenance, leur lien avec le monde, c’est là qu’ils ont pleinement conscience de leur être.
Le personnage d’Edward Boychuck, personnage central de votre roman que l’on ne découvre qu’à travers ses œuvres, semble établir un rapport particulier entre la peinture et la mémoire. Diriez-vous que la peinture a dans votre œuvre un rôle cathartique ou un rôle expiatoire ?
Jocelyne Saucier : Cathartique, du moins je l’espère. N’oublions pas que cet homme est mort le sourire aux lèvres. Je crois qu’il s’est libéré de ses obsessions par la peinture.
Le monde de la forêt est très présent dans votre livre, comme c’était le cas d’ailleurs dans le roman de Liliana Lazar, « Terre des affranchis » lauréat du Prix des cinq continents l’an dernier. Avez-vous puisé votre source d’inspiration dans d’autres œuvres francophones où la forêt joue un rôle majeur, comme notamment Un balcon en forêt de Julien Gracq ou encore les contes traditionnels de Perrault ?
Jocelyne Saucier : Ma source d’inspiration n’est en aucune façon littéraire. Le monde de la forêt est très près de moi. J’habite en Abitibi, une région de forêt, de lacs et de rivières à 700 kilomètres au nord de Montréal. Les personnages qui habitent le roman sont très près de ma réalité. L’ermite des bois n’est pas pure invention romanesque, il existe véritablement. Quand on vit environné de forêt et qu’on veut échapper au monde, la tentation est grande d’aller se perdre dans les bois. Ce n’est pas donné à tous évidemment, il faut avoir une connaissance intime de la forêt pour y vivre. Mais cette connaissance se perd, l’ermite des bois n’existera bientôt plus que dans les romans. Maintenant, quand on veut échapper à sa vie, on prend un billet pour l’Australie.
Que pensez-vous du développement du livre numérique ? Y voyez-vous une chance ou un danger ?
Jocelyne Saucier : Qu’on le veuille ou non, le livre numérique va faire partie de nos vies. La règle technologique devient plus prescriptive que la religion. En fait, il en a toujours été ainsi. Ceux qui ont râlé contre l’arrivée de l’automobile s’y sont ensuite promenés à leur aise. Il en sera de même pour le livre numérique. Mais il faut baliser sérieusement son introduction pour éviter des pratiques comme la numérisation sauvage faite par Google il y a quelques années.
Que signifie la Francophonie pour vous ? Quel sens lui donnez-vous en 2011 ?
Jocelyne Saucier : Il est très important pour moi qui habite une petite enclave francophone en Amérique anglophone de savoir que ma langue vit ailleurs, qu’on la chérit et qu’on défend son territoire avec la même énergie qu’on déploie au Québec.
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