Cet article est extrait de la revue Parlements et Francophonie. novembre 2012. N° 31
I. De l’écriture…
1. Votre rapport à la langue, « en langue » comme en français, est singulier. Vous écrivez dans un français parfait que vous métissez, que vous créolisez tout au long de votre œuvre de lingala et d’autres langues congolaises. Ces insertions ont évolué au fil du temps, du glossaire initial de Sans tam-tam à la note de bas de page de Chercheur d’Afrique - d’une mordante ironie pour votre éditeur - jusqu’à se fondre complétement dans Une enfant de Poto-Poto. « Le récit se faisait en français et les dialogues en langue » (Pélagie). Comment caractériseriez-vous ce rapport si particulier à la langue écrite que vous semblez entretenir ?
Henri Lopes : Vous en avez fait une description complète ! C’est la réalité permanente de qui vit dans plusieurs langues. Quand j’étais enfant, j’avais des langues de jeux et la langue que mes parents m’obligeaient à parler. Ceux-ci, bien que ce ne fut pas la langue qu’ils maîtrisaient le plus, s’exprimaient en français avec moi, pour me donner le plus de chance dans la suite de ma vie. Mais mes langues de jeux étaient le lingala, le mounoukoutouba et aussi le sango, puisque j’ai vécu en Centrafrique. Je vivais dans plusieurs langues. Je devais constamment sauter d’une culture à l’autre. J’ai souvent dit que le français est devenu une langue congolaise, une langue africaine. J’ai été heureux de voir que le président Hollande a repris la formule, dans son discours de Kinshasa, sans doute soufflée par un conseiller qui a dû me lire ! C’est ce que mes écrits expriment. Il n’y a pas de solution à la vie entre les langues. Les écrivains n’ont pas pour tâche de donner des solutions, mais de soulever des questions.
2. La lecture de votre œuvre laisse entrevoir une incroyable culture classique. Du latin et du grec, suspectés d’être un code secret par les gardiens de la prison de Banga, à la Sainte trinité littéraire (Senghor, Césaire, Villon), ou aux jeux intertextuels constants , votre œuvre regorge d’hommages rendus aux grands auteurs et plus particulièrement aux grands professeurs qui rendent ces œuvres accessibles aux élèves qu’ils ont en charge de former. Dans Sans tam-tam, vous affirmez : « Oui, je soutiens qu’une étude intelligente de la Pléiade, de Diderot et Voltaire, peut aider à la cristallisation du sentiment national des citoyens de l’Afrique noire. » (p 62). Gardez-vous encore aujourd’hui cette prise de position ?
Henri Lopes : Totalement. Je crois que tout africain qui a baigné dans la langue française est imprégné de cette culture-là. Je ne dis pas que c’est la plus belle culture du monde -parce que je ne connais pas toutes les cultures, ni toutes les langues- mais, je pense que la source de tout l’humanisme se trouve dans classicisme français et gréco-latin. Senghor l’avait déjà senti. Ma personnalité, ma sensibilité sont différentes de celles de Senghor, mais nous nous retrouvons sur ce point-là. Je pense qu’il ne faut pas perdre ces racines-là. Je crois que quand on attaque la langue française, quand on attaque cette culture-là, on nous attaque nous aussi, Africains, qui avons hérité de cette langue, qui l’avons adopté, l’avons fait nôtre, qui avons passé nos cultures à l’étamine de la culture français.
3. L’Histoire, « avec sa grande hache », est présente en filigrane de chacun de vos romans et s’entrecroise avec l’histoire de vos personnages. Votre dernier roman, Une enfant de Poto-Poto, s’ouvre le soir de l’indépendance congolaise et met en scène le discours d’André Malraux, vu par deux jeunes filles de dix-huit ans. Quel rapport entretiennent ces deux histoires pour vous ?
Henri Lopes : D’évidence, nous sommes dans l’Histoire sans toujours avoir conscience que notre histoire est dans l’Histoire. Ceux qui en ont le plus conscience, ce sont les dirigeants politiques, ce qui ne veut pas dire qu’ils aient pour autant une connaissance profonde de la dimension historique. J’ai voulu montrer qu’au fond, les populations, les jeunes, les gens, vivent leur vie sans avoir conscience de participer à l’Histoire. Ce n’est que très rarement qu’ils ont conscience de cela. Pour l’écrivain, la vie la plus intéressante, c’est celle des destins humains. Il s’agit pour nous de faire ressortir ce qui se passe à l’intérieur des cœurs et des reins, de mettre en relief comment les êtres ressentent et réagissent à ces grandes forces de l’Histoire qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne dominent pas et dont ils n’ont pas besoin pour vivre une vie pleine et bien remplie.
4. Comment vous situez-vous par rapport à des courants littéraires dont les œuvres et les thématiques semblent parfois proches des vôtres tels que la littérature antillaise (Césaire, Chamoiseau, Glissant, Condé) ou encore le réalisme magique sud-américain et la littérature noire-américaine (Toni Morrison, Alex Haley) ?
Henri Lopes : C’est une question que je me suis souvent posée. Je crois que nous ne sommes plus aujourd’hui à l’époque des écoles. Chaque destin littéraire est vraiment individuel et personnel. Mais j’ai une dette à l’égard de la littérature antillaise, peut-être pas de la contemporaine mais celle de l’époque de la négritude, parce que c’est à travers elle que j’ai pris conscience de beaucoup de choses. Ma conscience politique même en a été influencée. L’auteur dont j’ai été le plus proche, c’est Guy Tirolien, qui lui, était du temps de la négritude mais qui l’avait déjà dépassé. Guy Tirolien était mon véritable parrain littéraire, il était guadeloupéen et a écrit un poème que tout le monde connaît sans savoir qu’il est de lui, c’est la fameuse Prière du petit enfant noir : « Seigneur, je ne veux plus aller à leur école ». Pour des raisons personnelles, ma femme, qui n’est plus de ce monde hélas aujourd’hui, était antillaise. Donc les Antilles sont pour moi une seconde patrie, notamment sur le plan intellectuel et culturel.
5. Vous opposez souvent dans vos œuvres l’idéalisme, et notamment le marxisme-léninisme et le tribalisme, notant qu’au Congo, le second prime généralement sur le premier. Pourriez-vous revenir sur cette opposition ?
Henri Lopes : Je ne sais pas si c’est une opposition. L’époque marxiste-léniniste du Congo a essayé d’éliminer le tribalisme. Ça n’a pas réussi parce que finalement l’approche était plus idéologique, que scientifique, sociologique, culturelle. Le tribalisme continue. Encore qu’il faille préciser ce que l’on met derrière ce mot. La solidarité primitive qu’on trouve dans le tribalisme est quelque chose qu’on comprend, qui a une logique en soi nullement condamnable. Ce qui est dangereux, c’est lorsque cette solidarité primitive se mue en doctrine politique et qu’on veut ériger sa tribu au-dessus des autres à des fins de pouvoir. C’est une tendance qui existe dans nos pays. Le marxisme-léninisme avait, quant à lui, deux aspects, qui séduisaient les jeunes gens que nous étions : d’une part, le principe d’égalité et, deuxièmement, le côté scientifique qui passait au crible de la critique et de ma logique nos tendances obscurantistes. Nous ne pensions pas du tout aux dégâts que commettaient ces idéologies lorsqu’elles étaient appliquées dans certains pays, comme on l’a vu en Union soviétique et aussi en Chine.
6. Par deux fois, vous adoptez avec brio le point de vue d’un narrateur féminin (Sur l’autre rive et Une enfant de Poto-Poto) et vous rendez sans cesse hommage aux femmes dans votre œuvre : « Beaucoup d’hommes n’auraient même pas pu porter cette charge durant cinq cent mètres. » (Tribaliques, p.5). Pourquoi ce choix ? N’est-il pas difficile, pour un homme, d’adopter ce point de vue ? Avez-vous vu des évolutions sur la place et le rôle des femmes dans la société congolaise ?
Henri Lopes : D’une part, j’ai été influencé dans ma jeunesse par un écrivain qui a glorifié la femme. Pour moi peut-être le plus grand poète de la littérature française contemporaine, Louis Aragon. A mon sens, plus un grand poète qu’un romancier. Mais dans des romans et notamment Les cloches de Bâle, il a proclamé, de manière presque systématique, comme un credo politique, une profession de foi, la place éminente de la femme. J’ai transposé cela à l’Afrique parce que j’ai constaté que, dans notre région, ce qui fait la base de l’économie africaine - l’agriculture - est pratiquée uniquement par les femmes. Il n’y avait pas d’hommes agriculteurs. L’homme faisait les travaux difficiles : la guerre, la chasse et les travaux pénibles comme le dessouchage mais le travail quotidien de la production, notamment du manioc, était le fait des femmes. Je trouvais que ce n’était pas reconnu, j’ai voulu donc leur rendre hommage. Il se trouve que j’ai longtemps été élevé, étant fils de divorcé, seulement par ma mère. Par la suite, j’ai commencé par avoir trois filles avant d’avoir un garçon. J’ai donc baigné dans le monde féminin. C’est ce que je raconte dans Le lys et le flamboyant : « En ce temps-là toutes les métisses des deux rives étaient mes tantines ». Il y a de la fiction là-dedans mais il y a beaucoup de réalité aussi. Je n’ai jamais compris qu’on crée une inégalité entre les sexes. La deuxième raison, c’est que je trouve que dans nos sociétés, le couple est encore à faire, à constituer. Les gens se sont longtemps mariés pour faire des alliances entre clans mais l’amour demeurait en dehors du mariage. C’est ce qu’on appelle, d’un terme qui s’est répandu dans notre zone, les « deuxièmes bureaux ». Mais en cela, les Africains ne sont pas particuliers. Si vous regardez l’histoire de la littérature mondiale, vous voyez que toutes les belles histoires d’amour se font en dehors du mariage, Tristan et Yseult, Roméo et Juliette et même les contes de fées. Les contes de fées se terminent par de belles histoires d’amour mais l’histoire d’amour se termine avec l’histoire : « Ils se marièrent et vécurent heureux ». L’histoire après le mariage et ce bonheur-là ne sont plus l’histoire.
7. « Désaliéner c’est, chez nous, décoloniser les mentalités. » (Sans tam-tam, p. 63). Pensez-vous que la littérature africaine se doit de décoloniser, aujourd’hui encore, les mentalités ? L’un de vos personnages affirme que c’est en lisant le Discours sur le colonialisme qu’il a compris qu’il était possible de le faire en langue française tout en gardant ses aspirations nationalistes. Gardez-vous toujours le même sentiment ?
Henri Lopes : J’atténuerais aujourd’hui. Je dirais qu’aujourd’hui notre lutte n’est plus contre le colonialisme, c’est un combat dépassé, Dieu merci. Je dois, dans une parenthèse, faire remarquer que le Congo a fait revenir les cendres du premier colonisateur du pays, Savorgan de Brazza et de sa famille. C’est donc une vision apaisée de l’histoire. Aujourd’hui, notre principal combat, c’est contre la pauvreté et pour le développement.
8. Chacune de vos œuvres est un hommage à l’art congolais, que ce soit à sa musique ou à sa peinture et à sa littérature. « Il y a un je-ne-sais-quoi dans l’air de mon pays qui est propice à la musique et à la création littéraire » a dit Boniface Mongo-Mboussa, un critique congolais. Partagez-vous cette opinion ?
Henri Lopes : Absolument. Boniface Mongo-Mboussa est un des critiques littéraires africains les plus fins, les plus honnêtes. Je suis souvent en accord avec lui, en particulier dans cette phrase.
9. Dans Sans tam-tam, vous posez le problème du lecteur africain. Comment faire pour que le livre aille enfin, en Afrique, au lecteur ? Est-ce un combat qui vous tient encore à cœur aujourd’hui ?
Henri Lopes : Qu’est-ce qu’il faut faire ? Je ne sais pas. Mais je constate que les gens ne lisent pas. Vous me direz qu’en Europe et dans le monde aussi, on lit de moins en moins. Mon devoir est de m’en émouvoir. Je pense que l’écriture, la lecture, la littérature, constituent le chemin le plus direct à la véritable culture mais nous sommes dans un monde où c’est la communication qui l’emporte. On est informé du présent mais on n’a pas la dimension historique des choses que la lecture permet d’avoir. Je souhaite que le livre ne disparaisse pas, qu’il soit sous la forme du papier ou de l’ebook, peu importe. Que les gens lisent, que les gens pensent à se retirer comme ils se retirent pour faire leur prière, en lisant. Deux ou trois livres dans la vie des lecteurs ont changé leur vie. En bien ou en mal.
II. … à la diplomatie
10. Dans la lignée de Stendhal et de Claudel, vous êtes aujourd’hui diplomate et écrivain. Vous écrivez, dans Sans tam-tam, que « La politique est sans doute le domaine où le droit d’auteur est le plus usurpé ». Quels liens pouvez-vous faire entre ces deux mondes ?
Henri Lopes : Dans mon cas, j’appartiens à la première génération des Afriques indépendantes, celle de la construction nationale où chacun a été amené à faire plus que le métier auquel il s’était préparé. Ainsi, nous ressemblions un peu, pardonnez la présomption, aux hommes de la Renaissance. Il fallait tout savoir, tout faire. Cela nous a aussi amené à faire beaucoup de bêtises !
11. Vous étiez en octobre au Sommet de la Francophonie à Kinshasa, pays frère et voisin de votre Congo-Brazza. Pensez-vous que ce Sommet a été une réussite ? Que retenez-vous de cet événement ?
Henri Lopes : Je pense qu’il est bien que des pays de continents différents se retrouvent autour du thème de la langue française. Mais, pour vous parler franchement, je suis inquiet de la direction dans laquelle se dirige la Francophonie. Elle considère de moins en moins la langue comme le socle autour duquel nous devons nous réunir et accorde une plus grande attention à la politique. Les réunions de l’Organisation internationale de la Francophonie ressemblent de plus en plus aux réunions des Nations Unies. C’est une première constatation. C’est par ailleurs sans doute une bonne chose que des pays qui n’ont pas le français comme langue officielle s’intéressent à la Francophonie et veuille intégrer cette famille, mais leur accès ne doit pas se faire sur une base sentimentale. Il faut que cela soit accompagné de devoirs. La francophonie ne doit pas comporter que des droits inhérents à un club. Or, je n’ai pas l’impression que toutes les personnes qui sont accueillis dans la famille francophone fassent les efforts nécessaires pour le développement de la langue française. A l’heure actuelle, il y a 80 pays membres, associés ou observateurs de la Francophonie mais il n’y a que 32 pays qui parlent véritablement le français. Cette constatation doit nous amener à réfléchir et à imaginer une politique nouvelle qui prennent plus en compte cette réalité. J’ai donc une inquiétude, je ne vous le cache pas.
12. La future intervention des forces africaines au Mali témoigne-t-elle, selon vous, d’une réappropriation des problèmes de l’Afrique par les Africains ? Est-ce le chemin vers lequel l’histoire de l’Afrique doit tendre ?
Henri Lopes : Oui, je crois que la situation qui existe au Mali est intolérable. Elle est intolérable non pas simplement parce qu’il y a eu un coup d’Etat mais parce que voilà un pays qui ne maîtrise plus une grande partie de son territoire. Les deux tiers de son territoire sont occupés par des forces étrangères qui veulent appliquer une idéologie que la population réprouve. Dans la mesure où je crois à la nécessité de l’unité de l’Afrique, nous devons faire preuve de solidarité et lutter contre le terrorisme et l’intolérance qu’on veut installer au Nord Mali.
13. Quelle est, selon vous, la meilleure définition de la Francophonie aujourd’hui ?
Henri Lopes : Ce n’est pas la meilleure mais une que j’aime bien et que je répète : « Etre francophone, c’est parler plusieurs langues - deux, quatre, dix si l’on en est capable – pourvu que le français soit parmi ces langues. »
14. Avez-vous un message à délivrer aux parlementaires francophones ?
Henri Lopes : Je m’en garderais bien parce que j’en suis incapable mais je suis très attentif aux messages que lancent les parlements francophones.
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