Instances

Allocution de Steven Guilbeault, co-fondateur et porte-parole d'Équiterre

Son Excellence, Monsieur Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie
Monsieur Guy Nzouba-Ndama, président de l’APF
Monsieur Michel Bissonnet, président de l’Assemblée nationale du Québec et premier
vice-président de l’APF,

C’est un très grand plaisir pour moi d’être ici aujourd’hui, parmi vous, au sein de
l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, afin de vous parler d’un enjeu qui
nous préoccupe toutes et tous de plus en plus, à savoir la question de l’environnement
et du développement des sociétés.

Je suis honoré que vous ayez invité un représentant d’une organisation nongouvernementale
à venir vous présenter le point de vue de la société civile sur cet
enjeu. Je me dois de noter le rôle accru que joue la société civile dans le cadre des
grands débats internationaux, tant au niveau de rencontres comme celle du G8,
attendue la semaine prochaine, que dans les forums des Nations Unies, comme la
Convention sur les changements climatiques ou encore sur la diversité biologique.

J’ai d’ailleurs eu le privilège de m’adresser à deux reprises, au nom des ONG, à la
plénière de la conférence des Parties des Nations Unies sur les changements
climatiques, lors des rencontres de Montréal en 2005, et de Bali en décembre dernier.

Avant d’aller plus loin, on parle de plus en plus, depuis quelques années, du
Développement durable. Mais de quoi parle-t-on ? Est-ce que le concept présenté par
Gro Harlem Brundland en 1988 est toujours le même aujourd’hui, a-t-il évolué au cours
des deux dernières décennies ? Est-ce que développement durable rime avec
croissance durable, intégration de l’économie et de l’environnement ? ou encore
équilibre entre social, économie et environnement ?

Pour qu’un développement soit durable et ait un sens pratique, l’intégrité écologique
doit être une condition, le développement économique un moyen, le développement
social et humain un objectif, et l’équité doit être à la fois une condition, un moyen et un
objectif.

La perception du public face à l’enjeu du développement durable a évolué de façon
significative au cours des dernières décennies.

Selon un sondage mondial mené l’an dernier par le Pew Research Center, on note une
préoccupation croissante face aux problèmes de pollution, identifiée comme l’une des
principales menaces mondiales. Cette tendance a été particulièrement marquée en
Amérique Latine, en Europe, mais également au Japon et en Inde.

La pollution est perçue de plus en plus comme un frein au développement.
Au Canada, l’environnement est également l’une des deux principales préoccupations
de la population et a même été la principale préoccupation depuis 2006. Elle est
maintenant reléguée au deuxième rang derrière la question de l’augmentation du prix du
pétrole.

Pourquoi cette prise de conscience ? Peut-être parce que nous avons tous commencé à
réaliser que l’environnement n’est pas cette chose éloignée et intangible que l’on visite
le temps d’une excursion… Peut-être avons-nous pris conscience que la dégradation de
notre environnement a des impacts tant sociaux qu’économiques ?
Le prix Nobel de la paix, décerné l’an dernier au GIEC, a permis de mettre en lumière
les liens entre environnement, développement et stabilité, tout comme le rapport Stern
nous a mis en garde contre les impacts économiques catastrophiques d’un laisser-aller
sur la question du climat.

Le scientifique de renom, James Hansen, de la NASA, qui en 1988 tirait déjà la sonnette
d’alarme devant le Congrès américain sur la question des changements climatiques,
déclarait encore récemment que les concentrations de CO2 ne devaient pas excéder
350 ppm si l’on voulait éviter des changements climatiques catastrophiques, tel que
précisé dans l’Article 2 de la CCNUCC.
Or nous avons déjà excédé ce taux, nous en sommes à 387 ppm. Il est cependant
possible de revenir à des niveaux acceptables, notamment :
- a. en instaurant un moratoire sur le charbon dès aujourd’hui, et en l’éliminant
à l’horizon 2020
- b. en stoppant la déforestation et en entreprenant vigoureusement le
reboisement
- c. en changeant radicalement nos pratiques agricoles qui dénient aux sols
leur rôle de puits de carbone

Certains pays africains se sont d’ailleurs avérés très actifs sur le front du reboisement ;
c’est le cas notamment du Niger. Il faut également rappeler que c’est à l’initiative de la
kenyane Wangari Maathai, (Prix Nobel de la Paix 2004) que l’UNESCO a lancé l’année
dernière la campagne : « Plantons pour la Planète », qui recense pour 2007 plus d’un
milliard d’arbres plantés, dont une grande partie en Afrique.
La question de la production agricole et de la souveraineté alimentaire est une
problématique commune et essentielle à tous les pays qui font partie de l’APF, mais la
récente crise alimentaire a mis en évidence à la fois la vulnérabilité de certains, et les
limites des règles articulées par le GATT et l’OMC.

Sur la base de la théorie des avantages comparés, les autorités de ces pays ont été
« guidées » et encouragées à délaisser la petite production alimentaire au profit des
« cash crop ». À ce titre, l’exemple de la culture du coton au Mali est emblématique.
Cette crise alimentaire a également mis en lumière l’importance de choisir de vraies
solutions aux problèmes environnementaux, pour éviter que le remède soit pire que la
maladie.

L’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a d’ailleurs mis sur pied le projet « La
prochaine révolution verte » pour l’Afrique, afin de souligner l’importance stratégique
d’une plus grande sécurité alimentaire. Reste à savoir si la révolution va renouer avec la
pratique qui consiste à faire des sols des puits de carbone.
Dans tous ces débats, que ce soit celui du climat, de la désertification ou encore de la
diversité biologique, il ne faut pas perdre de vue le principe de nos responsabilités
communes, mais différenciées.
À ce titre, j’aimerais souligner qu’en moyenne, un africain émet annuellement quelques
2 tonnes de CO2, contre 8 tonnes pour un français, 12 pour un belge, et 20 tonnes pour
un canadien.
Il existe d’ailleurs une croyance très répandue dans les pays du Nord selon laquelle les
habitants des pays pauvres, du fait de leur style de vie et de leur utilisation des matières
premières pour la production énergétique, seraient de plus grands pollueurs que ceux
des pays du Nord.

Ce mythe a volé en éclats lorsque le réputé World Ressource Institute a publié une
étude, en mai dernier, démontrant que les Indiens, les Brésiliens et les Chinois arrivent
en tête de liste en matière de comportement « vert », alors que les Français, les
Canadiens et les Américains sont en queue de peloton.
Il ne s’agit pas ici de trouver des coupables et de les pointer du doigt, mais seulement
de rétablir les faits. Le développement durable, c’est aussi une question de justice et
d’équité.

Le choc pétrolier que nous vivons présentement a permis de constater à la fois notre
dépendance éhontée à l’or noir, mais également la nécessité, pour des raisons tant
sociales qu’économiques et écologiques, de se tourner vers les énergies renouvelables
ainsi que la conservation et l’efficacité énergétique.
Bien sûr, les impacts humains de ce choc pétrolier ne sont pas négligeables et risquent
de peser davantage avec le temps.

Nous sommes probablement toutes et tous coupables d’avoir laissé la situation évoluer
ainsi. Après tout, nous connaissons depuis plus d’une décennie le lien entre l’utilisation
de carburants fossiles et les changements climatiques, et plus d’un expert nous a mis en
garde par le passé contre la fin de l’ère du pétrole à bas prix.
N’est-ce pas le Prince Yamani, Ministre du Pétrole pour l’Arabie Saoudite lors des chocs
pétroliers des années 70, qui déclarait : « l’ère de pierre n’a pas pris fin parce que nous
avons manqué de pierres, tout comme l’ère du pétrole ne prendra pas fin parce que
nous manquerons de pétrole ».

L’ère du pétrole à bas prix est révolue, même s’il existe encore des réserves
importantes, notamment au Canada dans les sables bitumineux, l’un des pétroles les
plus polluants à extraire.
La prospérité des pays du Nord a reposé en grande partie, depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale, sur un baril de pétrole à faible coût. Imaginez un peu, lors de
l’adoption du Protocole de Kyoto le 11 décembre 1997 : le baril de brut se vendait
environ 20 $. À peine 10 ans plus tard, il frôle la barre des 150 $.
Aux États-Unis, le nombre de kilomètres parcourus par personne a diminué depuis le
début de l’année, les ventes de véhicules utilitaires sport, longtemps l’emblème d’une
Amérique prospère, sont aujourd’hui en chute libre, et les géants américains de
l’automobile sont en déroute (certains évoquent même la faillite de General Motors).

En 1950, le président de GM déclarait que « ce qui est bon pour GM est bon pour
l’Amérique ». De toute évidence, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Mais les choses peuvent changer plus rapidement qu’on ne le pense. Nous n’avons
qu’à observer l’exemple de villes comme Londres ou Paris. Dans le cas de cette
dernière, l’objectif est de réduire l’utilisation de la voiture de 40 % d’ici 2020. La ville de
Bordeaux est devenue aujourd’hui un modèle de transport en commun mais également
d’aménagement du territoire.
Le gouvernement du Québec, qui est d’ailleurs le seul à avoir embrassé les objectifs du
Protocole de Kyoto en Amérique du Nord, s’est doté d’un plan d’action pour atteindre les
objectifs du Protocole, et a mis en place une taxe sur le carbone qui servira à financer
ce plan, à adopter les standards de la Californie en matière d’efficacité énergétique des
véhicules, et travaille présentement à mettre sur pied un plan d’urgence pour pallier à la
hausse du coût du pétrole par le transport en commun.

Selon les Nations-Unies, les investissements dans les énergies solaires, éoliennes et
autres alternatives ont atteint 148 milliards de dollars en 2007, une augmentation de 60
% par rapport à l’année précédente. L’ONU parle même « d’une ruée vers l’or des
énergies vertes ». De plus, les acquisitions de compagnies d’énergies renouvelables ont
atteint 56 milliards de dollars durant la même période, ce qui fait dire à M. Achim
Steiner, directeur du PNUE, que « les énergies propres ont maintenant atteint leur
niveau de maturité auprès des investisseurs ».

Mais à l’heure de ces grands débats, où est la Francophonie ? Est-ce que sa voix se fait
entendre sur la scène internationale comme nous entendons celle de l’Alliance des
petits pays insulaires ou encore celle des Inuits du cercle polaire ?
Dans le cadre des négociations internationales sur les changements climatiques, nous
nous trouvons présentement à un moment critique, dans la mesure où nous préparons
la deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto et que ces négociations
devront arriver à terme au cours des prochaines années.

Nous savons ce que veut l’Europe, qui s’est déjà engagée à réduire ses émissions de
GES d’au moins 20 % d’ici 2020, nous savons ce que demandent les petits pays
insulaires, et nous savons également que la position canadienne est calquée sur celle
de George W. Bush. Mais quelle est la position de la Francophonie et surtout, se fait-elle
entendre ?

Et pourtant, tous les États réunis ici, à quelques exceptions près, ont manifesté la
volonté d’approfondir et d’intensifier l’effort international en cours visant à contrer les
changements climatiques.
Tous les États réunis dans cette salle désirent, à quelques exceptions près, s’engager
sur la voie de réduction plus importante des émissions de gaz à effet de serre des pays
industrialisés.
Ils savent que - sur la base du principe de responsabilités communes, mais
différenciées - tous doivent faire leur juste part pour contrer la menace des
changements climatiques.
Ils sont conscients des impacts de ces derniers sur la vie et le bien-être de leur
population et souhaitent de vigoureuses mesures de soutien pour venir en aide aux
pays les moins avancés.

Toutes les parties prenantes à cette Conférence souhaitent l’essor du nouveau
marché du carbone. Elles souhaitent procurer à leurs entreprises une certitude quant à
la poursuite de ce marché au-delà du 31 décembre 2012, de manière à assurer un
environnement d’affaires prévisible et stable.
Et tous soutiennent également l’accélération des transferts technologiques vers les
pays en développement, de même que le succès et l’amélioration du mécanisme de
développement propre.
Nous tous, à quelques exceptions près, reconnaissons que le Protocole de Kyoto
représente le seul instrument international, la seule plateforme d’action sur laquelle
repose – en fragile équilibre - la première réponse de la communauté des peuples de la
Terre à la plus grande menace pesant sur l’Humanité.

Pourtant, ce front qui unit la Francophonie se fait trop peu entendre sur la scène
internationale.
J’aimerais vous soumettre l’idée, et même me permettre d’insister sur son importance
pour la Francophonie, d’investir ce créneau qu’est l’organisation de l’action des États
francophones.

Prenons exemple sur l’Alliance des petits pays insulaires dont je parlais plus tôt, ces
pays ne sont ni nombreux ni de grandes puissances économiques mondiales. Et
pourtant, qui n’a pas entendu parler des populations des îles Tuvalu ou des Îles
Marshall, victimes de l’augmentation du niveau de la mer.
Est-ce que leur histoire est plus touchante que celles de la désertification au Burkina
Faso ou en Côte d’Ivoire, de la production alimentaire au Burundi ou de la hausse du
niveau des mers à l’Ïle Maurice ?

Une étude publiée hier en Grande-Bretagne par la firme d’analyse du risque
MAPLECROFT précise que 8 des 10 pays les plus à risques quant aux impacts des
changements climatiques sont situés en Afrique et que le pays le plus à risque au
monde est membre de l’APF, il s’agit des Îles Comores.

Il existe toutefois des exemples encourageants de coopération francophone. Dans le
cadre d’un projet en Afrique francophone, Équiterre a collaboré à la mise sur pied d’un
atelier avec le Réseau Action Climat France, ENDA et l’Institut de l’Énergie et de
l’Environnement de la Francophonie, qui visait précisément à renforcer les capacités
des acteurs du Sud dans le cadre des négociations internationales sur les changements
climatiques.
Ce projet a d’ailleurs fait l’objet d’une conférence lors de la rencontre de Bali en
décembre dernier.

La Francophonie, regroupant des membres parmi les plus pauvres des États membres
des Nations Unies, peut-elle se faire en quelque sorte la conscience planétaire sur ces
enjeux ?

Je participe aux négociations internationales sur les changements climatiques depuis
1994, j’étais à Berlin, à Kyoto et à Johannesburg et j’ai régulièrement entendu les
représentants des pays francophones du Sud manifester le désir d’une meilleure
préparation et collaboration entre les pays francophones.

L’idée de mettre sur pied une instance de concertation francophone dans le cadre des
négociations internationales fait d’ailleurs son chemin, et devrait être soutenue par
l’ensemble des membres de la Francophonie.
De plus, un fonds permanent devrait être mis sur pied afin de permettre une plus grande
collaboration et une meilleure préparation aux négociations internationales.

La Francophonie a démontré plus d’une fois qu’elle pouvait jouer ce rôle pro-actif sur
la scène internationale, comme pour le cas de la diversité culturelle à L’UNESCO.

En terminant, le Sommet de la francophonie arrive à grands pas, et il s’agit d’une
occasion en or de faire entendre votre voix, mais surtout de présenter vos demandes et
celles de la société civile. Ce n’est un secret pour personne, un bras de fer oppose
présentement le gouvernement fédéral canadien et ceux du Québec et de la France.

En effet, ces derniers voudraient que soit inscrite à l’ordre du jour la question du climat,
mais le gouvernement fédéral canadien ne veut rien entendre.
Votre déclaration, qui sera présentée dans le cadre du Sommet peut, et doit rappeler les
récalcitrants à l’ordre.

Avant de vous laisser, j’aimerais vous rappeler les paroles de Ken Saro-Wiwa, militant
pour les droits de la personne et pour l’environnement au Nigéria, et récipiendaire
du “Goldman Environmental Prize”.
« L’environnement est le premier des droits de la personne. Sans un environnement
sain, l’homme ne peut se prévaloir d’autres droits, qu’ils soient politiques, sociaux ou
économiques »

Mesdames et messieurs, merci !

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